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13ème après Pentecôte        

 

13ème après Pentecôte

Homélie de saint Bernard

abbé cistercien de Clairvaux (1115-1153)

Évangile : Luc 17, 11-19

            Tous les dix n'ont-ils pas été guéris ? Où dont donc les neuf autres ? Vous savez que ce sont les paroles du Sauveur, lorsqu'il reproche à ces neuf lépreux leur ingratitude. Il est vrai qu'ils ont prié, supplié, demandé ; car ils élevèrent tous la voix en disant : Jésus, Fils de David, aie pitié de nous. Mais ils ont manqué à la quatrième chose ordonnée par l'Apôtre, qui est de rendre grâces ; et ils ne retournèrent point à Jésus-Christ comme le dixième. On voit ainsi bien que des personnes qui demandent avec insistance ce qui leur manque ; mais on en voit bien peu qui pensent à rendre grâces à Dieu comme il faut, quand il les a exaucées. Ce n'est pas un mal de demander avec ardeur ; mais notre ingratitude arrête ordinairement l'effet de nos prières. C'est peut-être même par miséricorde que Dieu refuse aux ingrats ce qu'ils lui demandent, afin de leur épargner une condamnation d'autant plus sévère, qu'il aurait été plus libéral envers eux et qu'eux auraient été plus ingrats. C'est donc de la part de Dieu une miséricorde de ne pas faire miséricorde en pareil cas ; comme c'est une marque de colère et d'indignation, quand le Père des miséricordes répand Ses dons sur ceux dont parle le Prophète, lorsqu'il dit : «Faisons grâce à l'impie, il n'apprendra point à devenir juste» (Isaïe 26, 10).

            Combien y en a-t-il parmi nos frères, qui sont pour nous un sujet de larmes, parce qu’ils ne font pas attention que le ver de l’ingratitude consume intérieurement ce qu’ils avaient de bon, quoiqu’il ne touche pas à l’écorce extérieure de la religion qui les contente ; il n’y touche pas, dis-je, de peur qu’ils ne connaissent leur état, qu’ils n’en rougissent, et que la honte qu’ils en concevraient ne les porte à se convertir ! Il arrive cependant quelquefois que ce ver intérieur croit avoir tellement dévoré tout ce qu'il y avait de bon au dedans, qu’il ne craint pas de produire au dehors sa tête empoisonnée ; à moins que nous ne voulions dire, contre toute vraisemblance, que ceux que nous voyons s'éloigner de Dieu par une espèce d’apostasie, ne soient devenus méchants tout d'un coup ; au lieu de penser (comme il est plus raisonnable de le faire) qu’ils sont tombés par degrés, en laissant dévorer leur bien par des étrangers (Luc 15/13-30), sans y faire attention, et sans s’en mettre en peine. Vous voyez par là qu’il n’est pas utile à tous d'être entièrement purifiés de la lèpre d'une vie mondaine, et dont les désordres sont manifestes ; parce qu’il y en a plusieurs dont la guérison extérieure donne lieu à l'ulcère interne de l'ingratitude ; ulcère d'autant plus dangereux qu'il est plus caché : car les pécheurs s'éloignent toujours de la source du salut. C'est ainsi que Dieu demanda au premier homme, après son péché, où il était ; et au dernier jour, Jésus-Christ dira aux ouvriers d'iniquité, qu'Il ne les connaît point. Aussi lisons-nous dans le Psaume : «Le Seigneur connaît la voie des justes ; mais la voie des méchants périra» (Psaume 1, 6).

            Que le Samaritain est heureux de reconnaître qu’il tient de Dieu ce qu’il a ; puisqu’il conserve par l’action de grâces qu’il rend à Jésus-Christ les dons précieux qui lui ont été confiés ! Heureux de même celui qui, à chaque grâce qu’il reçoit, retourne à Dieu, qui est la source de la plénitude de toute grâce, et auprès duquel la reconnaissance des premiers bienfaits est un titre légitime pour mériter d’en obtenir de plus grands! Au lieu que l’ingratitude arrête le progrès que nous pourrions faire dans la vertu, parce que l’Auteur de la Grâce regardant comme perdu tout ce qu’Il a donné à l’ingrat, évite de répandre les bienfaits sur lui dans la suite, afin de ne pas les perdre, à proportion qu’il lui en donnerait davantage. Heureux donc encore une fois, celui qui, se regardant comme étranger, prodigue sa reconnaissance pour les moindres biens ; parce qu’il ne peut se dissimuler la gratuité d’un bienfait répandu sur un étranger et un inconnu ! Mais dans quel abîme de malheurs ne nous précipitons-nous pas, si, après avoir eu d’abord des sentiments de crainte de Dieu, de dévotion et d’humilité, parce que nous nous regardions comme des étrangers, nous venons ensuite à oublier la gratuité de tous les dons que nous avons reçus ; si, abusant du libre accès que nous trouvons auprès de notre Dieu, nous nous attirons ce reproche accablant : «Les ennemis du Seigneur sont ceux de Sa propre maison» (Michée 7, 6 ; Matthieu 10, 36).  

                                                 Homélie sur l’Évangile. Sur saint Luc, livres 73-74

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Dernière modification : 07 juillet 2007