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Le Carême pascal        

 

LE MYSTèRE DU CARÊME PASCAL  

LE CARÊME 

Le Carême se déroule dans un espace et un temps hautement significatifs. Le temps est celui des quarantaines bibliques. L'espace n'est autre que le triple paysage spirituel du désert, de la montagne et du temple. Le Carême est placé sous le signe du nombre 40 et du chiffre 3 : les 40 jours nous préparent au triduum pascal. 

Pour les Pères de l'Eglise, le temps des 40 jours de Carême et des 50 jours de Pentecôte nous fait célébrer un seul Mystère, la Pâque du Christ. Saint Cyrille d'Alexandrie. parle au Vème  siècle du "temps de notre fête sacrée" pour désigner toute cette saison liturgique (exactement trois mois) : 

"Nous célébrerons La fête en commençant par la Sainte Quarantaine avec la Semaine de la Pâque salvatrice, nous mettrons fin aux jeûnes tard dans la soirée (du Samedi Saint) conformément aux indications de l'Evangile, nous célébrerons la fête le matin du Dimanche et nous y ajouterons les sept semaines de la Sainte Pentecôte." 

Tout en suivant chacune de ces différentes phases, gardons fortement l'unité du Mystère Pascal, selon l'antique tradition, aussi bien dans les jeûnes et les douleurs de la Passion que dans les festivités et les joies de la Résurrection : d'un seul mouvement, la Pâque est le passage jamais achevé des ténèbres à la lumière, de la Mort à la vie, du vieil esclavage à la nouvelle liberté. 

"La Quadragésime comme période de purification, de renouveau, d'épreu­ve, de lutte spirituelle, d'abstinence précédant le jour la Révélation, de la nouvelle naissance, de la résurrection, plonge ses racines dans la tradition de l'humanité. En effet, elle est pratiquée aussi bien dans la Bible que dans les religions antiques. L'épreuve quadragésimale de l'âme après la mort que nous trouvons dans l'enseignement de l'Eglise orthodoxe, avec ses 40 messes pour le défunt, était connu des Egyptiens et des Orientaux. Les 40 jours du Christ ressuscité, passés sur terre avant son Ascension, scellent cette. tradition. Les 40 jours de purification d'une mère, couronnés par la fête de la Sainte Rencontre, font partie des usages de plusieurs peuples. La durée du temps peut varier, 40 ans, 40 jours, 40 heures, ou même 40 fois une prière, par exemple 40 fois : "Seigneur, aie pitié ! " dans les services orientaux, mais le nombre 40 ne varie pas, gardant toujours la même signification spirituelle précise." (Monseigneur Jean de Saint-Denis, "Présence Orthodoxe" n° 9-10). 

Les quarantaines bibliques marquent "l'espace de la vraie pénitence" et la temps de la conversion. Ce sont des montées vers Dieu, par le chemin de la mort dans les eaux du Déluge ou sous le feu du Désert. C'est le chiffre de l'Exode et de la Pâque : 40 jours de Déluge, 3 jours de Pâque 40 ans de Désert pour engendrer un monde nouveau, une génération libre. Moïse et Elie jeûnent et marchent 40 jours pour entrer dans la contemplation de Dieu, sur la montagne. Les païens de Ninive jeûnent 40 jours et reçoivent le pardon et le salut de leur grande ville. 40 ans est le temps d'une génération terrestre, humaine : le temps que meure le vieil homme et naisse l'homme nouveau, jeune. 40 ans de paix suivent l'intervention de chacun des Juges en Israël. Saül, David, Salomon règnent chacun 40 ans. La vie de Moïse est rythmée sur 3 phases de 40 années : triple initiation à la sagesse égyptienne, à la Sagesse de Dieu, à la sagesse du désert pour gouverner le peuple. 40 est le chiffre de l'épreuve où l'homme fait ses preuves en bien et en mal, c'est l'épreuve de la connaissance de soi et de la liberté (voir Deutéronome 8, 2-20). 

Toutes ces quarantaines bibliques se concentrent dans les 42 générations messianiques de notre Seigneur Jésus-Christ et dans les 3 périodes de 40 jours qui ouvrent sa vie, cachée (de Noël à la Présentation au temple), sa vie publique (de son Baptême à la Tentation au Désert), et sa vie glorieuse (de sa Résurrection à son ascension sur la montagne des Oliviers). Mais pour Lui, chaque quarantaine suit l'événement divin et glorieux, c'est une descente vers les hommes : 

"L'initiation et le baptême chrétiens reflètent fidèlement le baptême du Christ, non seulement par le geste d'Immersion au nom de la Sainte Trinité, comme le veulent quelques-uns, mais par le contexte évangélique. La lutte avec le Diable, le jeûne dans le désert sont inséparables du baptême de notre Seigneur et organiquement unis. Ainsi, dans le rite baptismal, nous retrouvons le triple renoncement à Satan et les exorcismes. Les catéchumènes des premiers siècles se préparaient pendant 40 jours par l'instruction et le jeûne à la solennité de leur baptême. Oui, le baptême chrétien reproduit en vérité celui du Christ comme dans un miroir, se conformant à la loi du reflet : fidèle et opposé. Le Christ est baptisé et jeûne, l'homme jeûne et est baptisé. Le Christ S'abaisse, l'Homme monte. Le baptême reprend ici le rythme biblique : le jeûne et la lutte contre la tentation précèdent l'événement glorieux." (Monseigneur Jean de Saint-Denis, Présence Orthodoxe, n° 9-10). 

Il nous faut revenir aux sources de la pure Tradition des Apôtres et des Pères de l'Eglise, des Prophètes et des grands Liturges : les 40 jours sont le temps où la communauté entière de l'Eglise, fidèles, catéchumènes et pénitents, marchant dans le désert et montant sur la montagne, se prépare à entrer dans le véritable et nouveau Temple, le Corps du Christ Ressuscité. 

        Tels sont le voyage et le paysage spirituels du Carême. 

LE CARÊME CATéCHUMéNAL 

Dès les premiers siècles chrétiens, les catéchumènes, se préparent dans le jeûne et l'écoute de la Parole de Dieu (catéchumène signifie "écoutant") à mourir et ressusciter en Christ par le baptême célébré la Nuit pascale. Le catéchuménat s'organise très vile, selon les coutumes des diverses Eglises. A Rome, il dure 3 ans ("La Tradition Apostolique" de saint Hippolyte de Rome, nous donne, vers 215, la plus ancienne description du catéchuménat et de la Liturgie romaine). Durant le dernier Carême précédant leur entrée dans l'Eglise, les catéchumènes sont instruits de la Parole de Dieu, initiés à la prière, exercés et vérifiés dans leur vie pratique (scrutins et exorcismes). Ils reçoivent une vision de l'économie du Salut, une forte nourriture biblique et évangélique (voir, par exem­ple, les catéchèses de saint Cyrille de Jérusalem ou celles de saint Augustin). Ils reçoivent la "tradition" (transmission) du "Sym­bole des Apôtres" (Credo), de la "Prière du Seigneur" (Pater) et des Quatre Evangiles ("Ouverture des oreilles"). La "reddition" (récitation du Credo et du Pater par les catéchumènes) se fait le Samedi Saint. Cette préparation catéchuménale, outre son cadre liturgique en semaine, est organiquement insérée dans la liturgie du dimanche, après les lectures, chants et prières, avant le Credo et l'Eucharistie réservés aux fidèles, de façon à ce que toute la communauté entoure ses nouveaux membres : c'est ainsi que la Mère Eglise engendre au Père de nouveaux enfants, par le Christ, dans l'Esprit Saint. En ces siècles de grande foi, cette sage pédagogie permettait aux fidèles, les anciens Chrétiens, de se renouveler dans leur baptême, le sacrement de la Foi, appelé "Illumination". 

"Les cérémonies du Grand Carême expriment jusqu'à nos jours cette préparation plus accentuée dans le rite occidental, plus es­tompée en Orient. Pourtant, au Carême, l'Orient ajoute l'ecténie des "éclairés". Le rite émouvant de la bénédiction, avec la lumière, des fidèles prosternés pendant la messe des Présanctifiés, accompagnée des paroles significatives : "Lumière du Christ, éclaire tout ! " s'adresse, en premier lieu, à ceux qui s'instruisent dans le doctrine chrétienne avant le baptême". ( Monseigneur Jean de Saint-Denis, Présence Orthodoxe n° 9-10). 

LE CARÊME PéNITENTIEL 

"Dans l'évolution historique de l’Eglise, les mauvais Chrétiens deviennent rapidement plus nombreux que les bons païens prêts à se convertir... Les pénitents prennent place auprès des catéchumènes pour se laver, par les jeûnes et par les larmes, de leurs péchés durant le Carême, avant d'être admis à nouveau à la communion... Le monachisme élargit et approfondit le jeûne et la pénitence du Grand Carême. Sous son influence salutaire, toute l'Eglise chrétienne devient pénitente..., se détachant du monde pendant 40 jours, pénétrant dans l'ambiance des monastères, se remettant entre les mains des grands maîtres spirituels de la pénitence chrétienne (saint André de Crète, saint Jean Climaque, sainte Marie l'Egyptienne)"[1]. 

C'est pourquoi la restauration du rite des Gaules selon Saint Germain de Paris a incorporé dans notre Liturgie orthodoxe occidentale les admirables versets du "Grand Canon de Saint André de Crète, VIIIème siècle (chant d'entrée des messes de semaine en Carême) et cette prière de Saint Ephrem[2], IVème siècle, (répétée quatre fois en chacune de ces messes) : 

"Seigneur et Maître de ma vie,

l'esprit d'oisiveté, de découragement, de domination et de parole facile,

éloigne de moi.                                                     

L'esprit de pureté, d'humilité,

de patience et de charité,

donne à ton serviteur. 

Oui, Seigneur et Roi,

donne-moi de voir mes fautes

et de ne point juger mon frère,

         car Tu es béni aux siècles des siècles". 

Dès le IVème siècle, le Mercredi des Cendres marque l’entrée des pénitents publics dans les monastères de Rome. Ce n'est qu'au XIème siècle que l'imposition des Cendres fut étendue au clergé et  aux fidèles. La réconciliation des pénitents se faisait le Jeudi Saint par l'absolution et la communion. 

LE CARÊME PASCAL 

En participant à l'initiation des catéchumènes et à la réconcilia­tion des pénitents, toute l'Eglise, en ses membres fidèles, malades et nouveaux, se renouvelle chaque année dans le mystère des mystères, la Pâque de son Seigneur. En même temps qu'il répon­dait aux besoin des catéchumènes et des pénitents, le cycle des lectures, des chants, des prières et des bénédictions de ces 40 jours s'est formé en immédiate réparation au Triduum Pascal. 40 jours nous conduisent du 1er dimanche de Carême au soir du Jeudi Saint. C'est un véritable passage à travers le désert, une ascension, sur la montagne, un pèlerinage aux sources du Temple nouveau, le Christ. C'est un chemin pascal, c'est déjà la Pâque au sens ancien du mot qui ne sépare jamais les deux faces du mystère : la mort aux ténèbres, l'illumination de Vie. Ces deux faces, nous allons les rencontrer sans cesse, de dimanche en dimanche, au long des six semaines de Carême. Le choix des lectures (Genèse et Exode, Prophètes, Epîtres et Evangiles) nous vient de la Rome antique. Le trésor merveilleux des "40 Immolatio" - ou préfaces - provient des Pères d'Orient et d'Occident et des rites orientaux (romain-gélasien, milanais-ambrosien, gallican, wisigothique, etc.). Vous en trouverez le texte aux éditions "Présence Orthodoxe" sous le titre "Les quarante degrés du Carême ou quarante immolatio". Dès le 1er siècle, les dimanches (nuit du samedi au dimanche) furent les jours de célébration liturgique, les mercredi et vendredi étant consacrés à des jeûnes accompagnés de prières. Très tôt, avec l'extension du catéchuménat, vers le IVème siècle, furent créées les messes des lundi, mercredi et vendredi ; vers le VIème siècle celles des mardi et samedi et au VIIIème siècle celles du jeudi. Au début du VIIème siècle, le jeûne quadragésimal fut anticipé au mercredi. des Cendres.

LES JOURS DES CENDRES 

En ces jours-là notre Mère Eglise nous présente les trois armes tradi­tionnelles du combat de Carême, le jeûne envers soi-même, l'aumône envers le prochain et la prière à Dieu. C'est une triade inséparable dans la Bible (Isaïe 58 ; Matthieu 6, 1-21 ; lectures de Mercredi et Vendredi : jeûner corporellement (de nourriture, de paroles, de tout ce qui nous encombre), c'est libérer du temps et de l'argent afin dé se nourrir spirituellement (de Parole de Dieu, de silence et de prières) et d'aider son prochain (par le pardon fraternel dès le Mercredi des Cendres et par le partage). Jeûner, c'est manger Dieu pour nourrir les autres voilà ce que les Pères ne cessent de nous rappeler. Les 40 Messes de Carême nous offrent une nourriture complète et substantielle. Selon notre rythme personnel (pour Dieu), et dans la pratique communautaire du Carême (en l'Eglise), jeûnons, partageons et prions afin de pouvoir assimiler cette nourriture sans maléfice ni mensonge, mais en esprit et en vérité. Absorber, éliminer, assimiler ne sont-ils pas les trois faces inséparables de l'acte de vivre ? 

Si l'Eglise nous invite à prier durant toute l'année, il est évident que c'est surtout en Carême qu'elle nous demande de pratiquer le jeûne. S'il n'est pas question de revenir à la forte rigueur des Pères sur ce point, n'est-il pas opportun de nous interroger sur la pratique du jeûne et ses bienfaits ? Jeûner n'est pas subir la faim par suite de conditions de vue inhumaines ou par hasard, par besoin médical ou simple hygiène. Ce dernier aspect est inclus dans le jeûne. Jeûner n'est pas manger moins ou mal, moins encore déguster un succulent, poisson en place d'un bifteck coriace. Jeûner, c'est ne rien manger durant un temps inhabituel (tout en buvant de l'eau). Nous jeûnons heureusement huit heures par nuit, ce qui repose et purifie le corps... Si nous ne jeûnons jamais de plein gré, nous y serons forcés par la fièvre ou la maladie. Bannissons la peur de nous affaiblir en "sautant" un ou deux repas, en jeûnant un jour par semaine ou davantage. Nous devrions plutôt craindre de manger trop et mal, de manger la nourriture de ceux qui meu­rent de faim. Le vrai jeûne est inséparablement corporel, psychique et spirituel. Jeûner est un acte aussi positif que négatif. Comme. la chasteté, conjugale ou virginale, est une maîtrise du sexe, de même le jeûne est la maîtrise de cet autre instinct foncier qu'est la faim, lié à l'agressivité et aux violences qui peuvent la déformer. Sentir la faim nous aide à mieux connaître nos limites, nos vrais besoins et à communier aux souffrances des mal-nourris des mal-aimés. Remplacer certaines nourritures terrestres par "la nourriture qui ne périt pas, celle qui demeure en Vie éternelle". (Jean 6, 27), assimiler la Parole et le Pain du Christ, en faire notre chair et notre sang, notre force et notre amour, cesser d'être des "hommes dévorés" par la hâte et l'action et devenir des "hommes mangés" que leur prochain trouvent "comestibles" et non plus "empoisonnants", n'est-ce pas l'un des fruits du repas eucharistique, de la communion ?  

Sans la prière, le jeûne risque de nous dessécher ou de tourner en grève de la faim. Sans aumône, sans partage fraternel, il nous enferme dans une suffisance orgueilleuse. Isaïe et le Christ blâment de jeûne chez ceux qui méprisent leur prochain ou chez les hypocrites. Sans le jeûne, l'aumône rassure facilement notre conscience sans nous compro­mettre de manière vitale. Sans la prière, elle devient une activité sociale, une solidarité anonyme. Nourrie par eux, elle nous fait éprou­ver, en humble amitié, la faim et la soif des autres. A son tour, la prière qui ne s'incarne pas dans le jeûne et l'aumône risque d'être superficielle ou illusoire, sentimentale ou idéale, et d'encourir le repro­che de saint Jean sur le mensonge de l'amour de Dieu sans amour du prochain : avec eux, elle nous fait partager l'humilité d'un Dieu qui nous aime au point de Se faire notre pain. La perte ou l'affadissement de ces  traditions corporelles et communautaires et de leur sens spirituel exprime et engendre une désincarnation rationaliste et individuelle de la religion. 

        Donne faim et soif de Justice à ceux qui sont comblés, Seigneur, et apprends-nous à partager avec chacun selon sa faim ! 

"Par le jeûne corporel Tu réfrènes nos vices, élèves notre esprit et nous donnes la force et la victoire." (Préface Romaine du Carême). 

"Par ton Fils, se fortifie la foi de ceux qui jeûnent, progresse leur espérance et s'affermit leur charité, car Il est le Pain vivant et véritable descendu du ciel." (Immolatio du 1er Dimanche de Carême). 

Savoir écouter et parler, travailler et se reposer, être seul et communiquer, savoir veiller et dormir, prier et agir, cette sagesse est un art qui s'enracine dans l'acte de jeûner .et déjeuner. Le jeûne prépare le repas et, comme lui, il est double : 

- Le jeûne mystique est celui dont saint Cyrille d'Alexandrie voyait l'indication dans l'Evangile ! "Pouvez-vous faire jeûner les compagnons de l'Epoux quand l'Epoux est avec eux ? Voici venir des jours ou l'Epoux leur sera enlevé. Alors, ils jeûneront en ces jours-là !" (Luc 5, 34-35). Le jeûne mystique est bref mais total, c'est une tension de tout l'être suspendu au retour du Seigneur, une veille vigilante qui nous prépare aux noces, au repas de fête du Ressuscité. Selon la tradition an­cienne et universelle, il dure le Vendredi et le Samedi Saints : il est rompu la Nuit Pascale par la Fête Eucharistique. Le "jeûne eucharistique" et celui des vigiles des grandes fêtes sont, eux aussi, un jeûne mystique. 

- Le jeûne ascétique est modéré et varié en ses formes, c'est l'ab­stinence quadragésimale. Associé à toutes les formes d'abstinence, c'est un exercice limité mais répété, dosé selon nos besoins per­sonnels. C'est une conversion pénitentielle, liée au pardon de Dieu et à la réconciliation fraternelle. C'est en raison de ce jeûne-là que les Eglises orthodoxes ne célèbrent pas la Divine Liturgie les jours de semaine en Carême, mais lui associent la simple communion aux Dons consacrés le dimanche dans la Liturgie festive. Cette "messe des présanctifiés" nourrit le jeûneur du pain, de la parole et du Pain de Vie sur son chemin vers la Fête. Deux jeûnes différents liés à deux aspects du repas de Com­munion (voir le beau livre d'A. Schmemann : "Le Grand Carême, Ascèse et Liturgie dans l'Eglise orthodoxe"). 

S'il ne faut pas craindre de faire des jeûnes emplis d'amour et de prière, "seuls capables de chasser certains esprits malins" dit le Seigneur, il convient d'y progresser lentement et humblement, afin d'en recevoir la véritable force de l'Esprit : "Heureux les affamés et assoiffés de Justice, heureux les pauvres par l'esprit, ils seront nourris à satiété, car le Royaume de Dieu est à eux !"  

LES DIMANCHES DE CARÊME 

1er Dimanche : QUADRAGéSIME,  INITIATION à LA PÂQUE AU DéSERT 

Placée sous le signe de Jacob, le voyageur et le lutteur, et de Rachel, la brebis bien-aimée et sauvée (Rachel signifie "brebis", sa valeur numérique en hébreu est 40, comme celle du mot Pâque, du mot "peuple" et du verbe "marcher"), cette première semaine de Carême nous met en marche à la suite de Jacob (Lectures quotidiennes, Genèse, 28-35), de Moïse et d'Elie (mercredi des 4 Temps), du paralytique guéri ("Lève-toi et marche !", vendredi des 4 temps) et du Christ, le Bon Berger (lundi, ouverture du catéchuménat). C'est la mise en marche du peuple de Dieu vers la terre promise aux vainqueurs de l'épreuve, aux pèlerins de l'exode. Le 1er dimanche est l'initiation solennelle au Jeûne des 40 Jours : 

"Seigneur, nous t'immolons ce solennel sacrifice d'initiation à la Quadragésime, te suppliant que, par la restriction des nourritures charnelles, nous puissions tempérer nos tendances nuisibles". (Secrète, prière sur les Dons). 

"Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant le jour du Salut". (Epître du jour, 2 Cor. 6,2) 

L'Evangile est celui de la Tentation du Christ poussé au désert par l'Esprit pour y être éprouvé par Satan. Après 40 jours de jeûne, les 3 tentations réitèrent les tentations d'Adam et d'Israël et annoncent celles de l'Eglise. Triple paysage, triple épreuve, triple remède (Matthieu, 4, 1-11). Dans le texte ci-après, nous suivrons l’ordre des tentations donné par Luc 4, 1-13 : 

- Au désert, lieu de la solitude et de la faim corporelle, la tentation porte sur soi-même : asservir son intelligence au ventre en changeant les pierres en pain. Manger et posséder est bon, mais pas au point de multiplier les pains en compliquant les besoins à la manière injuste et démesurée de la société de consommation. Contre tout miracle facile, Jésus oppose le remède du jeûne, afin de "manger tout ce qui sort de la bouche de Dieu" et de servir ses frères. 

-  Sur la montagne, lieu d'élévation et de désir "des royaumes du monde et de leur gloire", la tentation se porte vis-à-vis des autres : servir le Prince de ce monde pour asservir son prochain. Exercer le pouvoir peut être bon, mais pas au point de domi­ner le monde et de conquérir la gloire, en perdant son âme. Contre toute autorité oppressive, Jésus donne-le remède de "servir Dieu seul" dans le service du bien commun et le partage fraternel. 

-  Dans le Temple, Lieu Saint de la présence divine, la tentation se transporte directement contre Dieu : l'utiliser, à travers sa parole et ses anges (psaume 91, 11-12), pour opérer ce prodige spectaculaire et mystérieux, faire d'une chute une ascension. Devenir dieu, fils de Dieu, est le bien suprême, mais pas en prenant sa place, en Le singeant et en renversant les lois de sa création : "vous serez comme des dieux !" Contre tout mystère profanateur et sacrilège, Jésus propose le remède de la prière, l'écoute de la Parole d'e Dieu qui fait de nous ses fils. 

"Tu n'as pas voulu priver l'homme de la liberté, et tu as refusé, estimant qu'elle était incompatible avec l’obéissance achetée par les pains... L'humanité proclamera par la bouche de ses savants et de ses sages qu'il n'y a pas de crime et, par conséquent, pas de péché ; qu'il n'y a que des affamés... Nous avons corrigé ton œuvre en la fon­dant sur 'le miracle', ‘le mystère', 'l'autorité'. Et les hommes se sont réjouis d’être de nouveau menés comme un troupeau". (Le Grand Inquisiteur à Jésus dans "Les frères Karamazov" de Dostoïevski). 

Le psaume du Jour est le chant du peuple de Dieu en marche à tra­vers le désert, ses tentations et ses dangers, armé par Dieu et guidé par ses anges, vers la victoire pleine de gloire du Salut : "L'Habitant du secret du Très Haut s'abrite à l'ombre du Tout Puissant" (Psaume 91). 

L'Epître de saint Paul présente tout un programme d'exercices et d'activités de Carême, en 38 points, depuis les veilles, les jeûnes, les épreuves de toutes sortes, jusqu’au rythme pascal et paradoxal de "mourir pour vivre", en passant par les armes de la justice et de l’amour, par la connaissance et la patience, et surtout par l'Esprit Saint et le Verbe Vrai (2 Corinthiens 6, 1.-10). 

2ème Dimanche : LA TRANSFIGURATION EN GLOIRE SUR LA MONTAGNE 

Sous le signe de Joseph, vendu par son frère Juda, et du Christ vendu par son apôtre Juda et rejeté par les vignerons et les bâtisseurs du Royaume (Genèse 37-45 ; Evangiles de mercredi et vendredi ; avec la même parole contre Joseph et contre Jésus : "Venez, tuons-le), cette 2ème semaine marque les premiers combats : chaque ,jours des exemples ou des scènes de péché et des remèdes d'humilité nous conduisent sur le chemin de la montagne de la Transfiguration, chemin du retour au Père, par le Fils bien-aimé, dans l'Esprit (dimanche et samedi : Evangile de l'enfant prodigue, conver­sion et fête du retour). La Croix se profile dans le rayonnement de la Gloire. 

La semaine commence dans la grande vigile des Quatre-Temps de Printemps (nuit de samedi à dimanche) avec la messe festive de la Lumière incréée et ses 7 lectures du désert : nous montons sur la montagne, avec Moïse et Elie- (2ème et 3ème lecture), qui rejoignent le Christ et ses 3 disciples, Pierre, Jacques et Jean, dans la Nuée lumineuse et la Gloire incréée : 

- "à travers, le voile du visage et des yeux" (2ème lecture, 2ème collecte, Moïse) ; 

- dans "la voix du silence subtil", sous la nuée et le souffle de l'Esprit (3ème lecture, 3ème collecte, Elie) ; 

- dans "le soleil éternel de la Lumière du Seigneur" (4ème lecture, Isaïe/psaume graduel, 36, 10). 

- dans "le vent de rosée qui souffle au milieu de la fournaise de feu pour les 3 compagnons, Ananias, Azarias et Misaël" et dans la louange et les bénédictions de toutes les créatures des six Jours de la Genèse (5ème lecture, Daniel) ; 

- "dans la joie, la prière, l'action de grâces, sans éteindre l'Es­prit ni la prophétie, notre être intégral - l'esprit - l'âme - le corps - sanctifié par le Dieu de Paix et gardé parfaite-ment pour la Venue de notre Seigneur Jésus-Christ" (6ème lecture, saint Paul) ; 

- choisis par Jésus avec Pierre, Jacques et Jean, pour monter sur la montagne, dans la nuit et le silence, la prière, la veille et le jeûne, nos yeux transformés, "éveillés" (Luc 9, 32), nous sommes appelés à "voir la Gloire de Jésus... transfiguré, visage écla­tant comme soleil, vêtements blancs comme neige... avec Moïse et Elie apparus en Gloire et parlant avec Lui de l'Exode qu'Il allait accomplir à Jérusalem... et à entrer avec eux dans la nuée ombreuse et lumineuse... et à écouter la Voix : "Celui-ci est mon Fils Bien-Aimé, en Lui toute ma joie ! Ecoutez-Le ! ... et ensuite, touchés par Jésus, à garder le silence et à redes­cendre de la montagne le lendemain" (Luc, 9, 28-37 ; Matthieu 17, 1-9 ; lire le contexte et voir Marc, 9, 2-9 ; 2 Pierre 1, 13-19 ; 2 Corinthiens 3, 12 – 4, 18). 

Ainsi, dès ce 8ème Jour de la Quadragésime, nous sommes initiés par avance au mystère du 8ème Jour, celui de la Résurrection en Gloire, par la Théophanie Trinitaire sur la montagne : 

"Père, Dieu caché à nos regards, accorde à nos âmes durant cette quarantaine salutaire de s'élever jusqu'à ta montagne sainte. et de contempler selon nos forces la Lumière. de ta Gloire prééternelle. Quelle nous aide à porter sans tomber dans la révolte le Joug de la Groix et à entrer, avec une joie pure, en la radieuse Nuit de la Résurrection de ton Fils en qui Tu mets toute ta Joie, par Lui dans l'Esprit Saint à Toi la Gloire et l'Adoration ! " (5ème collecte). 

"Ton Fils Bien-aimé, Verbe devenu chair... manifeste la Lumière Incréée, Energie de ta divinité, Lumière non tirée des ténèbres par ta volonté puissante, mais sortie de l'abîme de ton essence. Et l'homme, par ses yeux mortels, vit la beauté de ta nature, la splendeur de ta Gloire qui, ô miracle étonnant, se communique à la Création, la transfigure et la déifie" (Immolatio). 

Quelle initiation puissante pour nous fortifier sur le chemin ascéti­que du jeûne, dans le combat mystique de Jacob et de Joseph, qui annonce la Croix de lumière. Oui, nos yeux corporels sont appelés à voir spirituellement, par la Grâce et la Lumière Incréées, le Christ Fils de l'Homme et Fils de Dieu, dans la Nuée silencieuse, ombreuse et lumineuse de l'Esprit Saint... Cette "vision" de ce que nous devons devenir (Galates 2, 19-20) peut seule nous faire grandir dans l'Arbre de la Croix, Puissance et Sagesse de Dieu, la Croix de Gloire. 

3ème Dimanche : LA LUTTE DES FILS DE LUMIèRE CONTRE LES 7 ESPRITS MALINS 

Cette 3ème semaine est marquée par les grands symboles du Baptême : l’Illumination (dimanche), le Bain au fleuve (lundi, samedi), l’huile source de vie (mardi, samedi) la Source d'eau vive (vendredi), la Maison, le Temple et les exorcismes (dimanche, jeudi). L'Eglise se révèle mère des nations (figurés par Naaman, la veuve de Sarepta, lundi), épouse assoiffée de Dieu (la Samaritaine, vendredi), éducatrice des catéchumènes en marche vers le baptême ("tradition" des commandements de Dieu, mercredi). 

En ce 3ème dimanche, l'Eglise nous invite à marcher dans la vallée de l'ombre de la mort, à travers le royaume de Satan et au milieu de: ses pièges, à prendre l'offensive à la suite du Christ, "l'Homme plus Fort" qui dépouille l'Esprit Malin de ses armes, et à garder les yeux levés sur la Lumière (dimanche (Oculi), en vrais fils de lumière. 

"Acclamons triomphalement le Père qui nous a envoyé son Fils, le Fils qui dépouille Satan et brise ses armes par sa Croix, et l'Esprit Saint, le Doigt divin, qui chasse les démons et nous donne le Royaume en ouvrant nos lèvres scellées par l'impureté pour chanter la gloire de la Divine Trinité". (Grande antienne des Vêpres).  

Le Christ chasse le démon d'un muet et lui rend ainsi la parole (Evangile du jour). L'Eglise fait des exorcismes, cette semaine sur les catéchumènes. Ce combat est magnifiquement éclairé par le chant de Bède le Vénérable, chanté ce dimanche, qui oppose aux sept esprits malins les béatitudes et les sept souffles de l’Esprit Saint : 

"Bienheureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent en pratique" (refrain tiré de l'Evangile du jour).

 

"Les sept démons s'opposent aux sept esprits de Dieu.

Un l'Esprit aux sept dons, Un le Fils vainqueur de Satan,

un le Père Tout-Puissant, Dieu ! Qu'il soit adoré et glorifié.

 

Salut, Marie, qui allaitas le Christ, Salut, toi qui écoutes sa Parole, Salut, entrailles immaculées qui reçurent le Verbe''. 

Les sept démons s'opposent aux Sept esprits de Dieu : 

- Prétention        : pauvreté et crainte adorante de Dieu ;

- Dispersion       : douceur et piété envers le Père et les frères ;                

- Ignorance        : larmes et science de la fragilité des créatures suspendues enDieu,         seul  Consolateur et Source de savoir ;

- Paresse            : faim et soif de justice et force pour le Royaume et sa Justice ;

- Tromperie        : miséricorde et conseil, discernement des esprits ;

- Déraison          : coeurs purs pour voir Dieu et intelligence pour voir la Trinité à l'œuvre dans la création, l'Incarnation salvatrice et l'Eglise, en vue du Royaume ;

- Folie                : pacificateurs et Sagesse, savoir-vivre-d'amour, goût de Dieu. 

Voir aux Vêpres les lectures de Tobie, conseils ascétiques et mystiques, reliés aux béatitudes, aux souffles de l'Esprit et à la lutte victorieuse contre les sept démons[3]

Les psaumes du jour sont les psaumes 25, 123, 84, qui chantent la marche, les combats et la béatitude des pèlerins qui vont "les yeux sans cesse levés vers le Seigneur qui libère leurs pieds du piège, les regarde et leur fait grâce, au moment où les angoisses de leur cœur se sont accrues, et où il les délivre de leur détresse" (psaume 25, 15-17). 

"Prier" c'est contempler et "contempler" c'est se transformer en Celui que l'on regarde ! "Soyez des imitateurs de Dieu comme des enfants bien-aimés et marchez dans la charité, comme le Christ vous a aimés et S'est livré pour vous en Sacrifice offert à Dieu... N'ayez aucune part avec les fils de la désobéissance (impure, cupi­de, idolâtres). De ténèbres, vous êtes devenus lumière : marchez en fils de lumière. Le fruit de lumière est tout ce qui est bon, juste, vrai. Discernez ce qui plaît au Seigneur. N'ayez aucune part aux œuvres stériles des ténèbres... 

C’est pourquoi l’on dit :           

''Réveille-toi, ô toi qui dors, relève-toi le Christ illuminera". (Epître du jour, Ephésien 4, 1-14). 

4ème Dimanche : JOIE DE L' EGLISE SUR LA MONTAGNE, LA PÂQUE EST PROCHE !  

"Ô Mère de Dieu, tu es le Paradis mystique: où le Christ germa virginalement. Grâce à. Lui grandit dans le mande entier l'Arbre vivifiant de la Croix… Aujourd'hui, la Croix trace le mitan du Carême et, semblable à Moïse, le peuple chrétien sauvé des eaux reçoit le Pain de Vie, le Pain eucharistique en surabondance, afin que dans vingt jours, il communie à la Passion de Celui qui, par sa mort, donne au monde la Résurrection". (Grande Antienne des Vêpres). 

Cette semaine centrale du Carême, sous le signe de wiorse et de l'Exode (lecture quotidiennes), s'ouvre par le Dimanche de la Joie, Laetare 

"Réjouis-toi, Jérusalem, vous qui l'aimez, rassemblez-vous ! Dansez de joie avec elle, vous étiez dans la tristesse, afin d'être rassasiés de consolation à sa mamelle de Gloire !" (Chant d'entrée Isaïe, 66, 10-11). 

Cette joie nous vient de l'Eglise, la libre Jérusalem d'en haut, notre mère (épître), ville construite de degrés en degrés et d'âge en âge, peuple des tribus de Dieu, tribus d'Israël et Eglises du Christ, ville maternelle qui donne le Joie et la Paix (psaume du jour, 122), la Liberté et la Paix (Lectures du jour). 

Pourquoi cette joie, aujourd'hui ? 

- Parce que c'est la Mi-Carême, la halte pour "respirer dans la consolation de la Grâce et parvenir à la liberté promise aux enfants ce Dieu" (Collecte). 

- Parce que c'est le dimanche printanier de "l'approche de la Pâque" (Evangile, Jean 6) : Pâque, c'est la Résurrection, et deux résur­rections sont lues cette semaine (jeudi), signes de la résurrection baptismale ; c'est aussi la Pâque de l'exode au désert et sur la montagne. Le livre pascal par excellence, l'Exode, est lu cette semaine.

- Parce que c'est déjà la germination de l'Arbre de la Croix, véné­rée et fêtée aujourd'hui par toute l'Eglise ; à Rome, la station de Carême se fait en ce jour à la basilique Sainte-Croix de Jéru­salem où l’on vénère une fraction considérable, du Bois de la Croix. Ce dimanche est nommé "dimanche rose" (offrandes de roses, couleur des ornements, joie) et la Croix de l'autel est ornée d'une rose rouge. 

- Parce que l'Eglise vit pleinement sa maternité en nous "transmettant" ses trésors de vie les plus précieux aux catéchumènes (et à tous) elle fait la "tradition" du Symbole de la Foi et de la Prière du Seigneur (dans la messe de mercredi, messe de l'Illumination et de l'ouverture des oreilles et des yeux évangile de l'aveugle-né, Jean 9) ; aux baptisés (et à eux seuls) elle distribue le Pain de Vie, l'Eucharistie pascale, annoncée dans l'Évangile de la multi­plication des pains et des poissons. Les trois gestes de Jésus, "recevoir les pains, rendre grâces et les distribuer en surabondance" sont devenus les trois gestes du Mystère de "l'Eucharistie" ou "Action de Grâces," : présentation de nos offrandes, consécration des Dons dans la grande Prière Eucharistique (de l'Immolatio à l’Epiclèse), repas de communion. 

"Il est vraiment digne et juste de Te rendre grâces en tous lieux et en tous temps, mais spécialement aujourd'hui car les Pâques approchent et les mamelles de notre mère l'Eglise sont gonflées pour allaiter les néophytes, et les eaux sanctifiées par le Poisson Céleste (ichtys) se mettent en mouvement, attendant la nouvelle naissance des peuples convertis, ô Dieu incompréhensible, insaisissable... Père Saint, Créateur de l'Univers, merveilleuse est ta Sagesse ! elle donne la nourriture à chaque vivant, elle instruit l'homme à cultiver le blé, elle réjouit son cœur par le jus de la vigne. Lorsque ta Sagesse prit notre corps... elle rompit 5 pains et en nourrit 5000 catéchumènes et la multitude était rassasiée... Elle préparait ainsi ses disciples au plus grand sacrement de son abnégation et de son amour pour l'homme, à la communion ineffable à son propre Corps et à son propre Sang, au banquet de l'Agneau Pascal qui communique au monde la Vie éternelle, et à l'Eglise sa propre, divinité". (Immolatio). 

Cette Semaine nous entraîne allégrement dans un rythme de marche vraiment pascal ! Peuple de Dieu en marche vers la Jérusalem nouvelle, passant de l'esclavage à la liberté (épître), nourris sur la montagne verdoyante par le Pain de la Pâque, nous recevons en surabondance les biens du Royaume, les seuls qui ne diminuent pas mais se multiplient en se partageant : Pain, Paix, Liberté, Joie, Lumière et Vie ! 

Ces maîtres-mots de la 4ème semaine de Carême sont signes et ger­mes de la nouvelle Création, ce sont des Noms de Dieu. 

- 5ème Dimanche : LA PASSION DU CHRIST, GRAND PRÊTRE ET TEMPLE DE LA NOUVELLE CRéATION 

Dimanche dernier, le Christ de la multiplication des pains était proclamé Prophète, dimanche prochain, jour des Rameaux, il sera proclamé Roi, aujourd'hui, Il Se présente à nous comme Grand Prêtre. Cette 5ème semaine nous fait entrer, par la Passion du Sauveur, dans le temple véritable où se fait entendre la voix du Bon Pasteur, la Parole plus forte que la mort. La croix et les icônes sont voilées, en signe de deuil, de recueillement plus profond, afin de nous faire entrer progressivement, sous le voile et le silence, dans le véritable Temple du Christ crucifié et ressusci­té, Temple détruit et relevé en trois jours. L'instrument de cette reconstruction est la Croix : son mystère ne se dévoile que lentement et le Vendredi Saint, le voile du vieux temple étant déchiré, l'Arbre de la Croix sera dévoilé, révélé, aux yeux de tous, comme l'Arbre de la Vie, la Croix de Gloire. 

Les évangiles johanniques nous font entrer dans le drame des ténèbres mensongères en lutte contre la vrai Lumière, le Fils du Père, supérieur et antérieur à Abraham, qui nous presse d'écouter sa voix (dimanche, mercredi) : 

"Qui garde ma parole ne verra jamais la mort !" 

Dans le chant des psaumes et des prophètes (Jérémie, Daniel), dans l'Evangile, la voix du Christ s'élève, à la fois plaintive et ma­jestueuse, au plus fort de son combat et de sa Passion intérieure. C'est la voix du Juste persécuté, la plainte du Seigneur adressée à son peuple, à nous tous, pécheurs, qui détruisons le Temple, défi­gurons l'Eglise et toujours condamnons le Christ au silence et à la croix. Mais le Seigneur est plus fort que notre mal et notre mort : Il annonce la source d'eau vive, l'Esprit, qui ruissellera de son Sacrifice (lundi), la déification de ceux qui reçoivent sa parole (mercredi), salut d'Israël et la réunion en un des enfants de Dieu dispersés comme fruit de sa condamnation à mort (vendredi) et, surtout, Il vient réveiller un mort de quatre jours, Lazare, qu'Il fait sortir vivant du tombeau (samedi de Lazare, "vigile" des Rameaux). 

"Moi, Je suis la Résurrection et la Vie ! " 

L'épître de dimanche nous dévoile le véritable Temple, le Christ Lui-même, "Grand Prêtre des biens à venir... qui par l'Esprit Saint S'offre Lui-même à Dieu et par son Sang purifie notre conscience de ses œuvres de mort pour que nous rendions un culte d'adoration au Dieu vivant... Médiateur de l'Alliance Nouvelle, pour nous donner l'héritage éternel promis" (Hébreux 9, 11-15). Le sanctuaire, la tente (tabernacle), non fait de main d'homme, est le Corps même du Christ, dans lequel nous sommes incorporés par sa mort et sa Résurrection, par le baptême et l'Eucharistie. 

Les dimanches de Carême sont admirablement rythmés sur les trois paysages bibliques du désert (1er et 3ème dimanches), de la montagne (2ème et 4ème dimanches) et du temple (5ème dimanche), tous trois déjà présents dans les trois tentations. Ainsi l'exode quadra­gésimal à travers, le désert, la montée sur la montagne de la Lumière Incréée et du Pain de Vie, nous mènent-ils au seuil du véritable Temple, le Corps du Christ Crucifié et Ressuscité. Par sa Croix, Il délivre, vivifie et réunit son Eglise, qui devient elle-même "Corps du Christ et plénitude de l'Esprit". 

"Les mains iniques saisissent des pierres pour lapider le Christ, les mains fidèles applaudissent le Roi qui S'avance pour terrasser et vaincre la mort par la Croix invincible. Le chœur joyeux des Chrétiens uni aux Patriarches, confesse ton Fils avant les siècles et de Marie dans le temps. Le Christ remplit d'allégresse Abraham, le père des croyants et nous communique la Parole plus forte que la mort" ! (Immolatio). 

"Celui qui est avant qu'Abraham fût, Se livrera aux païens pour nous donner la liberté des enfants de son Père, Se livrera à l’outrage pour nous glorifier de sa Gloire resplendissante, aux coups de verges pour nous introduire dans le Paradis de joie éternelle, aux crachats pour que nos visages soient plus brillants que sept soleils, à la flagellation pour que la souffrance disparaisse de la terre, à la mort afin que la vie triomphe de la mort. Ayant accompli notre salut, dans son abnégation par amour de l'homme, Il ressuscitera le 3ème jour". (Préface de l'Offertoire). 

6ème Dimanche : LES RAMEAUX, ENTRéE ROYALE DU CHRIST à JéRUSALEM 

Les cinq derniers jours de la Sainte Quarantaine nous préparent immédiatement au Triduum Pascal du Christ crucifié, descendu aux enfers et ressuscité le 3ème jour. C'est le début de la Grande Se­maine, la Semaine Sainte. 

La vigile (samedi de Lazare) et le dimanche des Rameaux offrent un portail royal à toute la Semaine Sainte. Le Seigneur entre à Jérusalem, accompagné par les foules témoins. de la résurrection de Lazare, accueilli par les foules de la Ville sainte. "Hosanna au Fils de David, le Roi d'Israël ! Béni soit Celui qui vient au Nom du Seigneur !" Il vient monté sur un ânon, manifestant l'humilité de son triomphe royal, de sa victoire prochaine sur la mort. La résurrection de Lazare est le signe et la cause immédiate de la mort et de la Résurrection du Christ. Avec l'entrée à Jérusalem, elle annonce et déclenche le Mystère de la Paque Nouvelle. En tenant en main et en brandissant les palmes et les rameaux, nous nous enga­geons résolument à la suite du Christ, devenant les compagnons de son chemin de Croix. 

Le mystère du Mont des Oliviers, d'où part la marche royale vers Jérusalem, est le mystère de l'huile messianique, broyée dans le Pressoir de Gethsémani (ce nom signifie pressoir à huile) : cette huile, symbole de l'Esprit Saint manifeste l'onction "messianique !" - par laquelle le Christ, sans son humanité, est imprégné des énergies incréées -. Elle devient le sacrement de la chrismation par lequel l'Esprit Saint nous imprègne des énergies incréées, nous "christianisant" pour faire de nous "des rois, des prêtres, des prophètes". Tout le peuple chrétien participe au Sacerdoce royal et prophétique du Christ, "le Lion de Juda", le Rejeton de David (Genèse 49, 2 et 8-12, lue ce dimanche) : la bénédiction et la procession des palmes et des rameaux manifeste cette commu­nion mystérieuse du Christ et de ses disciples dont les enfants sont les premiers et les plus joyeux. Les ornements sont rouges, pour marquer le martyre, le témoignage du Christ et des Chrétiens, affirmés en paroles, en gestes, jusqu'au Sang de la Croix, affirmé aujourd'hui dans la foi et l'espérance de la Victoire : 

"Combats le beau combat de la Foi, saisis la Vie éternelle à laquelle tu es appelé et pour laquelle tu as professé ta belle profession de Foi en présence de nombreux témoins... Par le Christ qui a rendu témoignage devant Ponce Pilate par sa belle profession de Foi, garde parfaitement le Commandement (du Christ) jusqu'à l'Apparition de notre Seigneur Jésus-Christ que manifestera aux temps marqués le bienheureux et unique Souverain, Roi des rois et Seigneur des sei­gneurs, le seul Immortel, qui habite une Lumière inaccessi­ble, l'Invisible, à Lui gloire et règne éternels !" (Epître du jour, 1 Timothée 6, 12-16). 

"L'Heure vient où le Fils de l'Homme sera glorifié. Amen ! Amen ! Je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt, il demeure seul, mais s'il meurt il porte un fruit abondant ... Si quelqu'un veut Me servir, qu'il Me suive... Maintenant, mon âme se trouble. Que dire ? Père, sauve-Moi de cette heure ? Mais c'est pour cela que Je suis venu à cette heure Père, glorifie ton Nom ! Et une voix vint du ciel : J'ai glorifié et Je glorifierai encore !... Moi, quand Je serai élevé de terre, je les tirerai tous à Moi ! Cette parole signifiait de quelle mort Il allait mourir... Encore un peu de temps, la Lumière est avec vous. Marchez tant que vous avez la Lumière, croyez en la lumière pour devenir fils de Lumière !" (Evangile du jour, Jean 12). 

"Nous Te supplions, purifie nos cœurs, pour que ton peuple saint, poussé par l'Esprit, infatigablement et sans interruption, veille devant ta Face et Te rende des actions de grâces". (Lundi de la Passion). 

Les lectures de Job, aux cris déchirants, des prophètes Jérémie et Isaïe, annonciateurs de la Passion, des ultimes appels de Jésus (Matthieu 21, 26), nous aident en cette longue veillée de Semaine Sainte à pouvoir pénétrer dans le temps le plus sacré, le plus mystérieux et le plus fécond de toute l'année, le Triduum Pascal. 

        "Les étendards du Roi sont déployés, le mystère de la Croix étincelle".

[1]. Le "Grand Canon de Saint André de Crète" est édité par "Présence Orthodoxe".

[2]. Monseigneur Jean de Saint-Denis a écrit un admirable commentaire de cette prière de saint Ephrem le Syrien. "Présence Orthodoxe".

[3]. N.D.L.R. : Voir également "Tobie, livre des fiancés et des pèlerins" par le P. J. Goettmann, édition Desclée, l'échelle des béatitudes et des dons, pp. 245-250).

 

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Dernière modification : 07 juillet 2007